Le 4 décembre prochain, dans le cadre de la prochaine édition des Rencontres de l’écosystème, sous le thème Climat et IA, le CRIM accueille Sylvain Charlebois, directeur principal du Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire, professeur en distribution et politiques alimentaires à la Faculté de gestion de l’Université Dalhousie, à Halifax et professeur invité en politique agroalimentaire et distribution à l’Université McGill à Montréal.
Dans le cadre de son passage au CRIM, M. Charlebois présentera une conférence intitulée Nourrir l’avenir : l’intelligence artificielle face aux défis climatiques et alimentaires.
L’équipe du CRIM s’est entretenue avec M. Charlebois afin de discuter des enjeux reliés à l’IA dans l’industrie agroalimentaire.
L’intelligence artificielle est déjà bien présente dans le secteur agroalimentaire, mais ce n’est pas quelque chose qui est nécessairement tangible comme consommateur. Pouvez-vous nous offrir des exemples de la présence de l’IA dans ce secteur en 2025?
Depuis des années, dans le secteur agroalimentaire, on voit que les producteurs agricoles adoptent l’utilisation de l’intelligence artificielle. Au détail, avec l’IA, on tente de fixer les prix pour optimiser l’équilibre entre l’offre et la demande, parce qu’on transige avec le consommateur tous les jours, pour diminuer le gaspillage et bien sûr augmenter les revenus le plus possible.
Par contre, c’est au milieu de la chaîne où il y a un retard, au niveau de la transformation. Certains adoptent l’IA, mais plusieurs entreprises ne comprennent pas trop comment on peut appliquer l’IA et se fier sur leurs clients pour, disons utiliser l’IA et faire les changements nécessaires.
Dans le fond, on peut parler de l’agroalimentaire de façon générale, mais quand on commence à regarder chaque maillon de la chaîne, il y a une évolution qui est différente si on compare un maillon avec l’autre.
Au niveau éthique, il y a la question de la concentration des données. Quelle est la différence entre les données accumulées par les supermarchés par l’IA, par rapport aux données amassées via des programmes de fidélisation?
Dans le cas des programmes de fidélisation, il y a quand même un consentement explicite du consommateur. L’IA va plutôt utiliser toutes sortes de données, que ce soit de façon délibérée, ou non, de la part du consommateur.
L’IA va donc recenser plusieurs bases de données ou utiliser la triangulation pour comprendre le consommateur.
Dans le fond, l’IA est là pour anticiper l’avenir. Avec les problèmes de fidélisation, on veut inciter des gens à consommer certains produits et à consommer plus, mais ils offrent un portrait du passé, tandis que l’IA utilise le passé et permet de comprendre le futur.
Nous avons parfois au CRIM l’impression de voir un écart entre le désir d’adopter l’IA et une véritable adoption de celle-ci chez les producteurs agroalimentaires. Pourquoi?
On prétend que le métier est vraiment basé sur des intuitions. Dans les faits, si on commence à récolter beaucoup de données, on voit qu’on peut prendre de meilleures décisions.
J’ai l’impression qu’il y a peut-être un inconfort avec l’utilisation de la technologie. La venue de ChatGPT et des autres chatbots, a démocratisé l’IA. Tout le monde a une compréhension de l’IA et de sa capacité à influencer le comportement des gens et des entreprises. On le ressent auprès des agriculteurs et de plus en plus, ils en voient le potentiel.
Quelle est l’utilisation qu’un fermier peut faire, par exemple, de ChatGPT ?
Comme exemple, la gestion des sols. Si on a épandre de l’herbicide ou différents agents pour optimiser la croissance, l’ancienne méthode c’était de traiter le champ au complet, également. Ce n’était optimal parce que ça coûtait très cher. Les producteurs commencent à comprendre qu’en utilisant l’IA, ils peuvent sauver de l’argent en adoptant une approche plus précise par rapport à la gestion des sols. C’est la même chose pour la gestion des animaux, la façon qu’on les nourrit, le pâturage, etc.
Bien sûr, avec dame nature, la température affecte la façon dont les producteurs gèrent leur ferme. Comme d’une année à l’autre ce n’est jamais la même chose, l’IA peut assister comme ça.
C’est un peu comme le bon vieil almanach du fermier, en format boosté ?
C’est un peu ça dans le fond. L’almanach nous offre un portrait d’avenir, mais avec peu de précision et sans l’aspect sur mesure. Par exemple, deux producteurs situés chacun du côté différent d’un chemin vont vivre une réalité différente au niveau de l’irrigation ou de la température.
Quand on parle aux producteurs, on voit qu’il y a beaucoup de variations entre les régions et les localités. L’IA leur permet d’adopter les pratiques selon leur réalité climatique.
Et avec les changements climatiques, tout cela change la donne pour les agriculteurs.
Absolument, il faut donc être prêt.
On le voit dans l’exemple du commerce de détail. S’il peut, s’il fait beau, ça affecte la façon qu’on achète des produits ou notre attitude dans le magasin.
Pour le producteur, il y a beaucoup d’éléments qu’il ne contrôle pas, mais avec l’IA, on se sent plus en contrôle, malgré cette vulnérabilité ancrée dans le métier.

Par rapport au gaspillage alimentaire, comment est-ce que l’IA peut jouer un rôle à ce niveau au niveau social?
Si on comprend et qu’on anticipe mieux la demande, c’est plus facile d’y répondre et de produire en conséquence et éviter la surproduction. C’est au niveau de la surproduction qu’on voit des surplus et du gaspillage, donc si on comprend la demande, on réduit le gaspillage.
Avec l’IA, on peut stimuler ou l’apaiser la demande, avec les prix. Le prix, c’est le facteur le plus important ici, donc s’il y a un surplus de stocks on peut diminuer les prix et stimuler la demande. S’il n’y a pas assez de stocks, on peut augmenter les prix, de façon instantanée, pour réduire la demande d’un produit.
Qu’en est-il de l’impact pour le consommateur?
À mon avis, c’est là où c’est difficile. On a beau optimiser les chaînes, mais est-ce qu’il va y avoir une acceptabilité sociale pour ce genre de trucs? Les gens vont comprendre pour une baisse de prix.
Pour les hausses parce qu’il y a une rareté, c’est souvent mal perçu. Les gens vont voir ça comme étant de l’abus. On l’a déjà vu, quelques entreprises ont commencé à parler de prix dynamique et cela a mal passé.
Un peu comme Uber?
Oui, ou comme les vols d’avion, les hôtels. Quand on parle de nourriture, il y a une sensibilité, parce qu’on parle de sécurité alimentaire. Ça passe plus ou moins bien quand on voit des entreprises augmenter des prix de produits alimentaires, simplement parce qu’il y a un manque d’inventaire. Les gens vont se dire que les entreprises ont juste à mieux planifier pour s’assurer d’avoir des produits à vendre.
La prochaine édition des Rencontres de l’écosystème | Climat et IA, aura lieu le 4 décembre prochain dans les locaux du CRIM. Le CRIM désire remercier Innoprofits, partenaire du cocktail de l’événement.


